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10 mai 2011

L’architecture du discours


Cela faisait longtemps que nous ne vous avions pas proposé de traduction d’un texte remarquable. C’est que des réflexions disciplinaires, des prises de positions intelligibles et constructives ne courent pas les rues, à l’instar du recueil de poèmes de Raymond Queneau. Alors que la production architecturale portugaise est mise à l’honneur par le récent Pritzker Prize décerné à Eduardo Souto de Moura, voici un texte d’aNC Arquitectos, groupe formé de Teresa Novais et Jorge Carvalho rédigé en 2006, dont la portée nous semble mériter une traduction.

« Une école d’architecture nous demande une réflexion sur notre pratique architecturale. Un magazine nous un arbre généalogique de notre travail. Ainsi, on attend d’un architecte qu’il définisse son territoire et se positionne dans un système de valeurs.

Peu d’architectes sont en fait capables de construire une théorie à partir de leurs propres projets. Quand nous nous y essayons, nous nous trouvons prisonniers d’un vocabulaire à la fois vague et imparfait «expression culturelle », « faire sens », « développer une identité architecturale ». Les intentions d’un projet sont parfois aussi complexes que les concepts que l’on utilise pour les décrire. C’est pourquoi les architectes mobilisent souvent un vocabulaire provenant d’autres disciplines, philosophie, écologie, sociologie et bien d’autres. Mais ces emprunts ne nous conviennent pas ; d’ailleurs nous réalisons bien que lorsqu’on évoque la notion d’économie, plusieurs interlocuteurs l’entendront de manière différente.

Soit. Mais que ce soit à l’occasion d’une confession spontanée ou pour combattre l’incompréhension entourant leur travail ou encore pour stimuler leur propre processus intellectuel, les architectes énoncent souvent leurs objectifs et prises de positions. Généralement, les architectes s’expriment en public en usant autant d’une vaine assurance qu’en se réfugiant dans un langage métaphorique. Quoiqu’il en soit, on ne considère généralement pas que son discours décrive objectivement l’émergence d’un projet puisque ce discours est une partie intégrante de ce travail.

Pour nous, même métaphoriquement, notre travail ne s’inscrit pas dans l’esprit du temps ou dans une vision totalisante du monde contemporain. Le sens de nos actions ne peut pas être sur interprétée comme des certitudes préconçues. Cela réduirait l’architecture. Nous conservons l’illusion d’être libres de nous confronter à la complexité, à la densité du réel et aux incompréhensions qu’il suscite. Nous aimerions que les systèmes de rationalité que nous développons soient comme un champ doté de points de repères et d’orientation. Car ce qui compte est plus l’interrelation des choses que leur hiérarchie dont le sens est vain. L’architecture n’exclut rien.

Nous voulons pratiquer l’architecture pleinement, en faire un objet plus politique, plus pertinent. La communication, la médiation peut y aider. L’information nous entoure, dans les magasines, les conférences, dans divers espaces de discussions, à l’Ecole d’Architecture de Porto. Nous cherchons tous. Mais la communication ne suffit pas. Parfois le sens profond des choses est brouillé par le surplus d’informations. Des moments que solitude et de concentration, entre deux projets, permettent de faire émerger des positions inédites.

Notre espoir repose sur le fait de savoir saisir les opportunités de chaque projet. Mais il n’existe pas de formule permettant de mesurer l’éthique ou la valeur d’un projet. En fait nous souhaitons être assez ouverts dans nos propositions. Chaque situation recèle un potentiel différent. L’animation d’un quartier, le chemin qui traverse le site, le climat ou une structure que l’on peut réinvestir. Hormis l’architecte, quelqu’un aspire à la transformation, rarement parce qu’il doit survivre mais parce qu’il rêve ou pour des raisons de pouvoir ou de confort. L’utilisation des conditions de chaque situation peut servir à sa propre transformation. A cette fin, nous devons être imaginatifs et sensibles, comme tout fermier ou économiste se doit de l’être.

A travers l’architecture, nous pouvons faire entendre des choses sans même les énoncer et relier l’inconciliable. Pour un architecte, les choix esthétiques sont subordonnés à sa responsabilité sociale, même quand il s’agit de la place d’une chaise dans une pièce. Ainsi nous nous sentons pleinement responsables, même de ce dont nous ne devrions pas. Nos actions importent car ce sont de l’architecture. »

Voir :
http://www.anc-arquitectos.com/

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