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29 mars 2010

Paris by night

Encore un rendu de concours harassant, l’occasion de traverser un Paris désert à 5 heures du matin, et de revisiter la célèbre chanson de Jacques Dutronc et Jacques Lanzmann composée au printemps 1968 : Il est cinq heures, Paris s’éveille.



En l’écoutant, on ne peut que constater à quel point les activités parisiennes entre nuit et jour ont changé. Fini, les camions pleins de lait, les balayeurs dès potron-minet ou le café dans les tasses. Les banlieusards ne sont pas encore dans les gares, à la Villette on ne tranche plus le lard, la carcasse de la gare Montparnasse à été remplacée par la tour du même nom, et seuls quelques boulangers font effectivement cuire des bâtards.

Pourtant, certaines activités perdurent, comme le nettoyage des glaces des cafés et brasseries. Alors que ces établissements sont portes closes, des prestataires à mobylette effectuent désormais cette opération, seulement accompagnés par la musique nasillarde de petites radios portables.

La temporalité des usages et l’évolution des pratiques ont donc profondément modifié le visage de la ville. Ainsi, d’un tube sur 45 tours, la chanson de Dutronc est devenue un véritable document de l’histoire urbaine de la capitale. Et cette mutation continue de la ville a une actualité. En effet, la vie nocturne parisienne connaît de nombreux problèmes tendant à restreindre ses activités festives. Pour contrer ce mouvement, une pétition à été rédigée : Quand la nuit meurt en silence.

«
Nous, artistes, exploitants de lieux de diffusion, acteurs des musiques actuelles et professionnels de la nuit à Paris, souhaitons alerter l'opinion publique et les décideurs politiques sur les graves conséquences des pressions que nous subissons actuellement dans la gestion des problèmes de voisinage et de nuisances. La loi du silence généralisée qui s'abat sur nos événements et nos lieux de vie est en passe de reléguer la Ville Lumière au rang de capitale européenne du sommeil. Menaçant, ce faisant, non seulement nos entreprises et nos emplois mais aussi le rayonnement de Paris sur la scène culturelle internationale et l'attractivité touristique de notre ville. Il est donc urgent d'interroger le cadre juridique et réglementaire qui régit nos activités mais aussi (et peut-être surtout) la manière dont il est traduit au quotidien sur le terrain.

Paris souffre structurellement, du fait de son urbanisation hypercentralisée et de la pression foncière subséquente, d'un manque critique de lieux d'expression culturelle, notamment du point de vue des musiques actuelles qui n'ont pas toujours été soutenues à la hauteur de leur popularité par l'Etat et les collectivités territoriales. Malgré cet état de fait, au cours des dix dernières années, les lieux parisiens de diffusion musicale (bars, salles de concert, clubs) ont encore payé un lourd tribut à l'aspiration grandissante des parisiens à toujours plus de tranquillité. Et il est dorénavant bien établi que Paris a abandonné toute espèce de leadership européen au bénéfice de villes comme Londres, Barcelone, Prague et Berlin vers lesquelles s'exilent chaque jour plus d'artistes et de professionnels français. Sans parler du public francilien qui n'hésite plus à partir en week-end pour aller faire la fête là où elle a vraiment lieu.

Plus récemment encore, la situation s'est à nouveau dégradée avec la mise en œuvre de la loi anti-tabac qui a poussé une partie de notre public à passer du temps à l'extérieur des établissements. Cette loi que nous avons pourtant appliquée de manière exemplaire au sein de nos lieux a eu pour conséquences :
- d'élargir nos responsabilités à un territoire (la rue) sur lequel nous n'aurons jamais la même légitimité;
- de créer des confusions entre les nuisances provenant de la diffusion musicale et les troubles de voisinage liés à l'occupation des trottoirs;
- de réactiver des contraintes réglementaires jusque là oubliées (interdiction de danser dans les bars ou les salles de concerts...) dans le seul but de durcir ou d'accélérer les sanctions.
Quel peut être le sens d'une Loi de Santé publique qui aboutit à empêcher les gens de danser ?
Les fermetures administratives (provisoires ou définitives) et les pertes de licence ou d'autorisation de nuit (au-delà de 2h) se comptent par centaines chaque année sans parler des amendes parfois très lourdes. La liste de tous les établissements touchés (et donc les événements annulés) alourdirait considérablement le texte de cette lettre mais cette liste s'allonge inexorablement mois après mois.

Les trois premiers termes de l'équation sont simples : pas de culture sans musique, pas de musique sans lieux de diffusion, pas de lieux de diffusion sans vie nocturne. Mais pour bien comprendre la réalité de la situation et l'impasse dans laquelle Paris est en train de se fourvoyer, il faut s'intéresser au dernier terme de l'équation : pas de vie nocturne sans tolérance. Dire cela c'est, d'une part, accepter de voir la vie telle qu'elle est et c'est, d'autre part, comprendre qu'en cela comme en tout, de vrais arbitrages et de justes compromis sont nécessaires. Laisser penser que la nuit parisienne pourrait ou devrait s'épanouir sans troubler la parfaite quiétude d'un seul riverain est une hypocrisie dangereuse. Vivre ensemble dans une métropole ne peut pas se faire sans que les efforts soient mutuels dans les territoires partagés que constitue l'espace public.
»

Ces revendications rejoignent en partie la diversité des activités décrites dans la chanson de Dutronc. Allons donc dans ce sens. Il est cinq heures, je n'ai pas sommeil…



Voir :
http://www.quandlanuitmeurtensilence.com/
En bonus, la version contestataire de mai 1968 de la chanson de Dutronc et Lanzmann adaptée par Jacques Le Glou et interprétée par Dominique Grange :


21 mars 2010

Pastorale urbaine

Pendant la campagne des régionales, les questions de l’agriculture urbaine et des circuits courts de consommation de produits comestibles se sont posées à de nombreuses reprises. Alain Rousset, tête de liste PS en Aquitaine a ainsi visité des installations maraichères dans le Médoc, tandis que Cécile Duflot, candidate Europe Ecologie en Ile de France, en a fait un point fort de son programme.



Pour autant, ces intentions politiques de promouvoir un équilibre entre ville et campagne, d’encourager des relations plus fortes entre la métropole et ses marges ne constituent pas des innovations majeures, mais plutôt des redécouvertes. Ainsi, l’histoire urbaine témoigne de nombreuses situations dans lesquelles la production agricole est pleinement intégrée aux pratiques urbaines. Au 18ème siècle, c’était notamment le cas du nord de Paris, comme en témoigne le récit d’une promenade de Jean Jacques Rousseau :
« Le jeudi 24 octobre 1776, je suivis après dîner les boulevards jusqu'à la rue du Chemin-Vert par laquelle je gagnai les hauteurs de Ménilmontant, et de là prenant les sentiers à travers les vignes et les prairies, je traversai jusqu'à Charonne le riant paysage qui sépare ces deux villages, puis je fis un détour pour revenir par les mêmes prairies en prenant un autre chemin. Je m'amusais à les parcourir avec ce plaisir et cet intérêt que mont toujours donnés les sites agréables, et m'arrêtant quelquefois à fixer des plantes dans la verdure. J'en aperçus deux que je voyais assez rarement autour de Paris et que je trouvai très abondantes dans ce canton-là. L'une est le Picris hieracioides, de la famille des composées, et l'autre le Bupleuron falcatum, de celle des ombellifères. Cette découverte me réjouit et m'amusa très longtemps et finit par celle d'une plante encore plus rare, surtout dans un pays élevé, savoir le Cerastium aquaticum que, malgré l'accident qui m'arriva le même jour, j’ai retrouvé dans un livre que j'avais sur moi et placé dans mon herbier.
Enfin, après avoir parcouru en détail plusieurs autres plantes que je voyais encore en fleurs, et dont l'aspect et l'énumération qui m'était familière me donnaient néanmoins toujours du plaisir, je quittai peu à peu ces menues observations pour me livrer à l'impression non moins agréable mais plus touchante que faisait sur moi l'ensemble de tout cela. Depuis quelques jours on avait achevé la vendange ; les promeneurs de la ville s'étaient déjà retirés ; les paysans aussi quittaient les champs jusqu'aux travaux d'hiver. La campagne, encore verte et riante, mais défeuillée en partie et déjà presque déserte, offrait partout l'image de la solitude et des approches de l'hiver. »
Dans cet extrait, la réalité dépasse la fiction. La description d’une urbanité champêtre, étendue et verte est bien plus intéressante que l’imaginaire contemporain de la ville écologique, rendue durable à force d’isolant, de fenêtre triple vitrage à lame d’argon et bardée d’éoliennes et de capteurs solaires sans cesse devenus obsolètes…

Par ses antécédents, par sa pertinence autant que par son actualité, il importe donc à l’urbanisme de prendre en compte et de questionner l’agriculture métropolitaine, à la racine.


Lire :
http://www.aqui.fr/politiques/regionales-alain-rousset-tete-de-liste-regionale-ps-sur-le-terrain-de-l-agriculture-urbaine-du-sud-medoc,2813.html
http://parisbanlieue.20minutes-blogs.fr/archive/2010/03/03/grand-paris-et-regionales-on-est-favorable-a-une-metropole-p.html
Jean-Jacques Rousseau, Les Rêveries du promeneur solitaire, Paris, 1782. (Deuxième promenade )

5 mars 2010

Le Clos des Lilas

Il fallait bien qu’un jour nous explorions le monde de la promotion immobilière. A la faveur d’un prospectus glissé dans la boite au lettres, nous avons pris notre courage à deux mains et nous sommes plongés dans l’étude d’un immeuble au nom, aux plans et aux façades semblables à tant d’autres : le Clos des Lilas.


Passons rapidement sur le discours commercial habituel, vantant avec la même prévenance désuète et policée « les façades rythmées coiffées de leurs toitures traditionnelles qui offrent une architecture variée et harmonieuse », « les grandes baies parées de leur garde-corps en ferronnerie », ou « le tapis vert servant d’écrin aux façades ». La fin du descriptif est plus ambitieuse car elle lance un défi à qui voudra le relever : « Le confort vous séduira. Les appartements présentent des plans rationnels sans perte de place et bénéficient de multiples orientations. ». Qu’en est-il réellement ?

Les mises en garde placées en bordure des plans ne laissent présager rien de bon : « Illustration à valeur d’ambiance » et « Libre interprétation de l’artiste ». On ne critiquera donc pas l’ameublement ou la couleur des rideaux, mais plutôt la distribution des espaces et la répartition de certains meubles dont les dimensions sont incompressibles et primordiales : sanitaires, éléments de cuisine, lit double, etc… En reprenant les critères énoncés précédemment, nous vous livrons de quatre fiches de logement corrigées au regard de leur présentation enjôleuse.

Studio
Confort : Moyen (Distinction entre espace séjour et espace chambre, très grande terrasse, coin cuisine exigu)
Rationalité : Faible (Deux gaines, Salle de bains dans l’entrée du logement, murs de refends non alignés)
Orientations multiples : Moyen (Baies resserrées et distantes de l’enveloppe)

Deux pièces
Confort : Moyen (Séjour profond et distant du nu extérieur, balcon filant, accès au lit par un seul côté)
Rationalité : Moyen (Repartition simple des espaces, création d’une épaisseur de rangements entre la chambre et le salon, deux gaines, accès à la douche périlleux)
Orientations multiples : Nul (Mono-orientation)

Trois pièces
Confort : Moyen (Quatre espaces sans lumière naturelle (entrée, couloir, sanitaires et salle de bain), placards entre les chambres et les pièces de vie)
Rationalité : Moyen (Pièces d’eau strictement dimensionnées selon le mobilier, deux gaines, difficulté d’accès au placard de la chambre au dos de la porte)
Orientations multiples : Bon (Double orientation et balcon)

Quatre pièces
Confort : Moyen (Cuisine plus petite que celle du 3 pièces empêchant d’y manger, pièce commandée par le salon, dressing distant des chambres)
Rationalité : Faible (Espaces de circulation nombreux et étroits, trois gaines, étrange cloisonnement du séjour)
Orientations multiples : Bon (Double orientation et balcon)

A l’issu de cette étude le bilan de nos appréciations est assez médiocre : 0 Très bon, 2 Bon, 7 Moyen, 2 Faible, 1 Nul. Sans blâmer d’avantage les logements, on peut citer quelques pistes qui auraient répondu pleinement aux aspirations architecturales du promoteur : des séjours à double orientations, un couloir d’accès aux pièces humides pensé comme une véritable pièce ou une structure intervenant intelligemment dans la partition des espaces…

Alors que les plans du Clos des Lilas ne présentent que de maigres qualités, il est assez paradoxal que la promotion immobilière contemporaine utilise autant les plans types pour commercialiser ses opérations. En prétendant répondre à la fois à une demande sociale et à des nécessités économiques, les promoteurs produisent surtout des plans types à ne pas répéter.



Voir :
http://www.immobilier-developpement.com