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11 juillet 2010

Tournicoti

Le film Tournée de Matthieu Amalric, consacré à Cannes, est sorti sur les écrans il y a deux semaines. Racontant le quotidien d’une troupe de strip-tease new burlesque arrivant en France, ce film, joyeusement elliptique, décrit intelligemment les ambitions, compromissions et insatisfactions de tout projet artistique. La troupe contourne l’obstacle d’une représentation parisienne impossible et se produit dans différentes villes portuaires : Le Havre, Saint-Nazaire, La Rochelle…



Il est surprenant que les personnages empruntent peu ou prou le même itinéraire que le roman Terminal Frigo de Jean Rolin paru en 2005. Dans celui-ci, le narrateur constate les profondes mutations des villes maritimes françaises, des milieux des ouvriers de construction navales, des marins et autres dockers. Un parcours qui nous mène de Calais à Saint-Nazaire, de Dunkerque à Marseille-Miramas et du Havre, à Royan…

« Le mercredi 11 février 2004, à l’hôtel Beaurivage, mon réveil n’a pas sonné, et je me suis levé en catastrophe à 7h30 alors que j’avais prévu de prendre le bac de 8 heures. La veille, j’avais dîné dans le restaurant d’un casino de Royan dont le mauvais goût, outre la proximité de la mer, et le fait que j’avais bu au préalable deux martinis, m’avait donné l’illusion d’être à Macao. »

Le livre et le film correspondent sur d’autres points : l’humour de situations insolites dans leur banalité, la même attention pour des lieux meurtris, désenchantés qui contraste avec les vocations et la constance l’engagement des personnages. Pour ces deux réalisations et pour la belle affiche de Christophe Blain : tournée générale !



Lire :
Jean Rolin, Terminal Frigo, POL, 2005.

24 octobre 2009

Dans les pas de John Lennon

C’est arrivé près de chez vous, en 1969, John Lennon et Yoko Ono traversaient le périphérique pour faire un tour aux puces de Saint-Ouen. Immortalisé par Henry Pessar, une série de photo témoigne de cette conciliation entre de mornes paysages de banlieue et cet instant de célébrité.


Le couple semble à l’aise dans ce milieu urbain, populaire. Peut être faut il y voir là une simple affirmation étymologique de la musique pop, que le leader des Beatles à si profondément forgé. Mais peut-on imaginer de nos jours une visite sans misérabilisme ou condescendance de Madonna ou Muse dans un quartier de Bombay, ou tout simplement dans la périphérie de Londres ?


Non, c’est très peu probable voire impensable. Pourtant les paysages urbains se sont développés depuis de manière considérable. Pourtant, d’autres personnalités ont cherché à rendre compte de ces situations métropolitaines, telles Jean Rolin dans son roman La Clôture paru en 2002 :

« Que l’on sorte du Relais du Pont ou de la Chope de l’Est, il n’y a que quelques pas à faire pour se retrouver sur le pont auquel le premier doit son nom. En dessous passent les voies de la gare de l’Est, sur la gauche la tour Daewoo dresse au-dessus de la porte de la Villette sa masse parallélépipédique, sur la droite la vue porte au loin sur les confins de Pantin et de Bobigny. A mi-hauteur du remblai, du côté de la gare de Pantin, pousse un cerisier exceptionnellement vigoureux et brièvement couvert de fleurs au mois d’avril. De l’autre côté des voies, une porte métallique, souvent laissée ouverte par inadvertance, dissimule un escalier interdit au public menant à un quai tombé en déshérence et planté de rosiers à fleurs rouges. »

Jean Rolin, La Clôture, POL, 2002, p.74.

Certains praticiens ont aussi consacré toute leur attention aux mutations des villes et de leurs banlieues. Ainsi le paysagiste Michel Corajoud décrit le projet simple d’une allée à Aulnay-sous-bois. Suivons le donc dans cette considération du paysage péri-urbain.

« Je dessine en ce moment la ligne droite d'un chemin sur le travers d'une pente douce. Nous sommes en plein champ, sur un lambeau de la plaine de France, territoire du futur parc du Sausset. Chaque matin, pour rejoindre la gare de Villepinte, isolée sur la plaine, les travailleurs de la cité d'Aulnay empruntent un raccourci de terre battue. Le tracé de la sente coupe court et vise au plus juste la gare, là-bas, à six cents mètres. Cependant, la ligne hésite et s'infléchit trois fois, gauchie par d'imperceptibles dépressions. Les jours de pluie, la terre argileuse se détrempe et tous marchent dans la boue. On me demande de faire, sans attendre, le projet d'un chemin plus confortable sans pour cela détruire l'ancien sentier qui doit vivre le temps des travaux. Le travail paraît simple, le jeu des pentes est infime, le parcours sans accident. Mais pour que le trait soit juste, pour que l'assiette du chemin donne à la rondeur du champ la meilleure réponse, il faut un travail minutieux, le paysage est à ce prix.

J'aurais pu, par je ne sais quel sentiment respectueux, faire le mime du premier sentier, faire artificiellement projet de l'usure hésitante du sol par le pied. Mais c'est au niveau des modes de constitution qu'apparaissent les différences entre la sente précaire façonnée par le passage et l'ouvrage pérenne d'un chemin; différence entre tracé et construction. L'un est totalement soumis aux accidents du relief, il épouse, à chaque instant, le sol dont il polarise la surface, il n'a pas d'autre choix que celui de négocier dans l'espace la ligne la plus efficiente de son tracé. L'autre, pour durer doit acquérir de la consistance, être fondé. Il faut retrousser la couche de terre végétale, trop active pour être stable, chercher l'assise d'un substrat plus inerte pour reconstituer ensuite, par couches successives, un sol nouveau avec des matériaux dont l'agencement des grains donne de la compacité. Ce travail dans l'épaisseur, cette édification amenuise l'effet des caprices du sol d'origine. Le chemin construit s'affranchit des contingences, l'ouvrage rectifie et absorbe dans son assise le futile et l'accidentel.

Sur cette plaine caractérisée par l'insignifiance générale des accents, le travail de fondation peut, à lui seul, à chaque pas, sans brutalité, ni blessure, compenser creux et bosses. Le premier sentier trouvait son équilibre en jouant sur l'étendue, 1e chemin nouveau, lui, s'égalise par encaissement. Il peut en tous points tenir sa ligne et rien n'explique qu'il n'aille pas droit. La direction est prise mais d'autres contraintes apparaissent. Pour durer, le chemin doit maintenir son état de surface, les grains de calcaire qui le ferment ne résistent pas à l'érosion. La pente est ici transversale, et si l'on n'y prend pas garde, les eaux de pluie traversant l'assiette du chemin le destinent à la ruine. Il faut à nouveau faire acte d'autorité en contrariant la pente et en creusant, en amont, le fossé qui collecte les eaux. De cette nécessité d'affranchir la plate-forme du régime général des écoulements, s'établit entre les incitations du terrain et les exigences de l'ouvrage une sorte d'exacerbation dont je dois faire œuvre. De rectification en rectification, je négocie avec le sol la résistance et le confort du chemin et je choisis l'exacte amplitude du trait qui s'affirme et fait saillie sur le versant. En équilibrant les profils, j'ai mis l'accent sur l'indolence d'un champ.

Pour que l'ombre accompagne le trajet je pense à deux lignes de tulipiers. Le chemin en régularisant son emprise a laissé les accotements en désordre et la plantation des arbres ne peut en aucun cas corriger ce tumulte. Il faut savoir, en effet, qu'un arbre désigne, dans sa forme même, l'endroit exact où doit s'enterrer le chevelu des racines. Ce renflement à la base du tronc s'appelle le collet. Ces tulipiers, préparés ensemble en pépinière depuis plusieurs années, sont destinés à suivre un même développement et le fait de les aligner impose, qu'à terme, ils reconduisent sur le ciel la ligne régulière du chemin; donc qu'ils pénètrent le sol à des niveaux comparables. Nouveau travail de compensation entre une rive et l'autre et dans la ligne même du mail. La terre végétale extraite, tout à l'heure, pour construire la fondation, servira ici à mettre en œuvre, tous les cinq mètres, de faibles mamelons portant les arbres en déclive à leur juste niveau.

J'ai choisi cet exemple modeste, cette œuvre élémentaire pour parler de mon métier parce qu'un chemin charpente le paysage et qu'il mobilise pour sa construction, le maximum de savoir et de sensibilité. Le champ, abandonné par la culture se réactive soudain. Cette ligne nouvelle qui assure la navette quotidienne de ceux qui partent d'Aulnay travailler à Paris, préfigure le paysage de demain; et parce qu'elle fut bien travaillée, elle lèvera à chaque pas le souvenir du sol ancien. La vivacité du champ efface déjà la trace fragile de l'ancien sentier, la plaine est encore perceptible, mais tout a changé. »

Un chemin du Parc du Sausset, Texte publié dans la revue "POUR", N°89 Mai-Juin 1993


Voir :
http://corajoudmichel.nerim.net/
http://www.marchebiron.fr/

13 octobre 2008

Le roman d’une doctrine

Si quelques romans utilisent la figure de l’architecte, comme le récent livre d’Anna Gavalda, La Consolante. Si de nombreux autres sont fait d’architecture et l’utilisent comme support, tel La Clôture de Jean Rolin. Si la structure littéraire et romanesque de beaucoup d’autres constitue de véritables architectures, principe poussé à l’extrême par Georges Perec dans La vie mode d’emploi. Rares sont ceux qui développent une pensée critique des objectifs de l’architecture et du rôle de ce personnage dans la société. C’est pourtant le cas du livre de Stefan Heym (Les Architectes, Zulma, 2008), écrit en 1966 en RFA et publié pour la première fois en 2000. A travers la trajectoire contrariée d’un architecte du régime, l’auteur nous livre un étonnant manifeste antérieur de l’architecture socialiste. La transcription explicite d’un discours architectural directement issu de l’appareil politique fait éclater au grand jour la relation équivoque, des doctrines architecturales et des formes de domination : entre assujettissement, motif de justification et aiguillon créatif.


«
S’étant levé du siège en bout de table, il longeait le mur auquel était accroché une série de plans – témoignant de l’inverse des formes cubistes et dénudées qu’il venait de condamner dans son discours.
« Pas la moindre idée architectonique, dans le fonctionnalisme de ces gens-là, s’écriait-il tandis que son regard inquisiteur scrutait les visages autour de la table. D’édifice en édifice, la même façade nue, un désert, du rez-de-chaussée au plafond, sans oasis pour reposer la vue ! »

La décadence tenait au fait que le sens esthétique de l’homme, son aspiration à la beauté et à la dignité humaine étaient niés. Au bout du compte, un édifice était plus qu’un réceptacle occasionnel ; il signifiait la permanence ; un monument qui représentait l’aspiration des hommes, leurs rêves, leurs idéaux. Seule une classe comme la bourgeoisie, qui n’avait plus d’idées neuves depuis longtemps et qui était profondément pénétrée du sentiment de sa propre vanité pouvait considérer une combinaison de plaques de béton comme une réalisation.

« Le travail de l’architecte bourgeois – il s’immobilisa et eut un sourire ironique – est sérieusement facilité. Il ne doit pas se préoccuper des formes et des classifications esthétiques, ni de balance ou d’équilibre, ni de disposition ou de proportion des fenêtres, des corniches, des balcons et autres accessoires… »

Après cela, il lança à la ronde un regard triomphant.

»



Heym Stefan, Les Architectes, Paris, Zulma, 2008, p.69