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17 décembre 2012

Enlarge your practice ! Architecture et cultures numériques


S'arrêter, stopper, achever, aucun de ces termes ne parvient vraiment à designer la fin de l’aventure que représente la tenue d’un blog durant trois ans. Plusieurs années à tenir ce journal numérique dédié à l'architecture et aux productions urbaines contemporaines, comme un programme de recherche constamment actualisé. Faire de l’architecture un sujet plutôt qu’un objet d’information et développer le projet éditorial initial du site : parler de tout ce qui fait l'architecture et de tout ce qui lui fait défaut. Plusieurs années de partage, de découvertes, d’intuitions et d’informations stimulantes qui forment la chronique des années 2010, une décennie que l’acronyme GAFA résume bien. Les années Google, Apple, Facebook et Amazon…

C’est en fait peu de dire que l’informatique à profondément transformé la pratique architecturale. Sa démocratisation dans les années 1990, son adoption rapide dans les agences d’architecture et son intégration à marche forcée dans l’enseignement supérieur l’ont rendu incontournable, indispensable. De fait, l’informatique modifie de manière concrète les modes de production, les techniques de dessin, l’organisation du travail, les critères d’appréciation et d’évaluation des bâtiments, voire la conception architecturale elle-même.

On peut relire, amusé, un article du Monde Diplomatique « Faxer ou périr », illustrant les progrès des entreprises suite à l’avènement du fax et des premières télécommunications : « 1 080 fois plus rapide que le courrier et 7,5 fois plus que le télex, la télécopie arrivait à point nommé pour faire face à ce changement profond de temporalité ». Cependant, la disparation de cette technologie somme toute assez éphémère, ne peut que nous amener à la circonspection et à une critique des technologies informatiques sur un temps long.

Tout comme la pratique de la maîtrise d’œuvre, la diffusion de la culture architecturale, l’accès à l’information, en un mot le savoir des architectes à lui aussi été bouleversé par les apports de l’informatique et de la communication. D’innombrables données sont instantanément disponibles, des publications rares accessibles gratuitement, des contenus factuels, photographiques ou techniques en consultation libre... L’ensemble de ces documents forme une ressource quasi-infinie, une somme d’information à même de répondre à tous les questionnements des architectes et du grand public. Convocable à la demande, cette mémoire externe représente à la fois une opportunité sans équivalent de partage et de diffusion du savoir architectural et sa limite même, incarnée par le recours systématique à un nombre réduit de moteurs de recherches et à quelques encyclopédies on-line qui conduit paradoxalement à un rétrécissement du champ intellectuel de la discipline.

Quel que soit son support, la production de contenus et la diffusion de la culture architecturale se fait aujourd'hui à destination d’un public ou d'un lectorat clairsemé. Un public d’autant moins nombreux que la spécialisation des pratiques des agences d’architectures va croissant et que les réflexions de l’architecture et l’urbanisme semblent se développer en marge des débats de société. L’audience et l’appétence du public pour l’architecture, son actualité scientifique, ses événements culturels, ses distinctions ou ses projets remarquables est de fait extrêmement variable. Bien que des formes d’attachement, de fidélité ou de communautés se développent sur le web, les usages d’internet accentuent la volatilité de l’intérêt pour l’information d’architecture et la fidélité de ce public versatile n’est évaluée qu’à l’aune de l’immédiateté.

L’offre des sites web, blogs, comptes Tumblr ou Twitter, témoigne du profond éclatement intellectuel du milieu architectural et d’un traitement superficiel de l’information accentué par les syndromes du copier-coller, du share, du Like ou du RT qui dupliquent un contenu original sans plus-value de traitement… Des symptômes finalement assez similaires aux reproches récurrents adressés aux médias traditionnels. Pourtant, internet pourrait être un puissant vecteur, fédérant des diverses consommations personnelles de l’information et des contenus d’architecture. Les pratiques médiatiques pourraient suivre le temps propre de cet outil : un temps à la fois contracté et diffus. Contracté car une information, un événement ou une prise de position polémique peuvent être diffusés dans l’instant. Diffus car la consultation du web est intemporelle et la pertinence des contenus est directement mise à l’épreuve par leur disponibilité perpétuelle. Ainsi, le numérique semble devenir le règne éternel de l’instant.

Si le monde anglo-saxon a profité de l’éclosion des sites et blogs consacrés à l’architecture et rapidement considéré les producteurs de contenus comme des acteurs crédibles du débat architectural, ce n’est pas le cas en France. Cette reconnaissance institutionnelle s’est traduite par l’intégration de ces auteurs aux circuits de diffusion habituels : Geoff Manaugh (BLDG Blog) intervient dans de nombreuses manifestations universitaires SCI-ARC, Berkeley, Penn ou UCL, Leopold Lambert (The Funambulist) a publié récemment un essai tiré de son blog chez dpr-barcelona, Steve Parnell (Sesquipedalist) à soutenu un doctorat alors qu’il rédigeait son blog alors que Michiel van Raaij (Eikongraphia) est devenu rédacteur en chef de architectenweb.nl. Les contenus et axes de recherches développés indépendamment sur les blogs ont donc été progressivement relayés et intégrés à d’autres formes de communication.

Sur le web francophone, la quasi-totalité des publications on-line ne bénéficie d’aucun appui médiatique ou relais institutionnel. Ce manque d’intérêt pour les cultures numériques est flagrant lorsqu’on observe l’absence de traitement et de reconnaissance réservé au site d’information Archicool de Jérôme Auzolle à moindre degrés d’autres blogs en regard du traitement, par exemple, des livret promotionnels édités par des agences d’architecture ou de publications étudiantes. Pourtant, la réflexion sur les apports des technologies au champ architectural est menée depuis les années 1970. On en retrouve des traces dans les dossiers spéciaux de Technique et Architecture en 1971 et 1983, d’AMC en 1992 ou dans les articles d’Odile Fillion consacrés aux balbutiements d’internet. Mais le développement sans précédent d’internet et de ses usages au milieu des années 2000 n’a semble-t’il jamais fait l’objet d’une réflexion approfondie.

La production de contenus sur internet, la maîtrise ou la prolifération de l’information renvoie à de nombreux enjeux éthiques. Etre producteur représente un engagement franc en faveur de l’accessibilité du savoir. Une contribution individuelle, certes, mais potentiellement fédératrice. Un engagement fondé sur la gratuité, conforté par l’anonymat, sans publicité et sans course à l'audience... Diffuser l’actualité, publier librement des études inédites, partager gratuitement des critiques constructives constitue de fait une contribution désintéressée au champ de l’architecture.

Le blog Autour de l’architecture était conçu comme un propre producteur de contenu et non comme un banal relais d'information. Toujours problématique, parfois anecdotique, il proposait, environ une fois par semaine, des lectures critiques de projets, des informations à contretemps et des tentatives ludiques de corrélation. Forme médiatique inédite, un blog consacré à l’architecture peut intrinsèquement permettre l’émergence de nouvelles formes de transmission et de création de savoirs sur l’architecture. Il est par essence multimédia, puisque le support informatique permet d’intégrer des images, des documents in-extenso, des vidéos ou encore des morceaux de musiques. Il est à même de promouvoir un renouveau du discours architectural qui se nourrisse des cultures numériques en mettant à l’honneur la procrastination, l’hypertexte, la sérendipité ou l’agrégation de contenus…

Le titre du blog forme à la fois un programme « autour de l'architecture » et un slogan « au tour de l'architecture ». Il témoigne d'une position singulière puisque la définition de l'architecture qui le sous-tend n'est pas monolithique, ne procède pas d'un entre-soi disciplinaire, mais au contraire propose une identification progressive de l'architecture à travers ses manifestions et représentations. L’architecture observée et pensée à partir des ses franges ; ce qui entoure la pratique et les productions architecturales considéré comme un milieu matriciel. Ainsi, le blog envisage la formule liminaire de la loi de 1977 sur l'architecture « l'architecture est une expression de la culture » comme un énoncé contenant déjà une problématique. Si on a peu à peu reconnu qu'il existe de l'architecture sans constructions mêmes, qu'il existe de l'architecture sans architectes, il est temps d'admettre qu'il y a sûrement plus d'architecture hors d'elle même que dans son acception conventionnelle.

En tant que processus intellectuel visant à l'aménagement de l'espace, l'architecture existe dans des éléments aussi divers qu'un catalogue d'ameublement, des fragments de vie professionnelle, une chanson à la mode, une politique publique de gestion immobilière, une publicité pour une marque de spiritueux ou des mots-croisés... Les archives du blog constituent le témoignage continu de cette prise de position. Tant individuellement que dans leur ensemble, les notes manifestent peu à peu l'épaisseur des pratiques de l'architecture, soulèvent les enjeux critiques de ses représentations et dévoilent les champs insoupçonnés qu'elle structure.



En vous remerciant tous, simples passants ou visiteurs fidèles, architectes ou amateurs, pour votre intérêt, pour vos interrogations ou pour le référencement du site sur le web.
Antoine Autarc

26 septembre 2012

Recap

Un petit point transparence et d’open data. L’année dernière, vous avez effectué près de 17 000 visites sur le site. Des 28 notes publiées, les notes les plus consultées auront étés « Les Claudettes », « S’il m’enterre » et « Bref ». L’occasion de les relire ou d’une découverte pour certains, puisque 65% des visiteurs du site le font pour la première fois.

 
Intéressés par l’architecture et le champ artistique, vous êtes souvent équipés par la marque à la pomme : 54 % sur windows, 43 % sur apple, mais seulement marginalement sur Linux (0.71%) et Ipad (0.54%).

Je vous épargnerai les communiqués de presse et les « propositions d’échange de visibilité » qui nous ont été adressées. J’ai par contre été agréablement surpris par les mails de deux photographes. Stéphane Chalmeau a fait de l’architecture contemporaine le principal sujet de son travail et réalise de nombreuses séries liées à la réalisation d’un édifice. Tandis que Vivien Ayroles s’est attaché à une campagne photographique à ras du sol, inventoriant les jardins de béton des résidences des années 1970.

Vous pouvez découvrir leur travail sur leurs sites :

 Deux exemples qui réactualisent l’objet du blog : penser et créer autour de l’architecture.

2 septembre 2012

Sans les mains


« Quelle place occupe l’architecture dans l’imaginaire des sociétés post-industrielles ? » C’est par cette interrogation que s’ouvre un article consacré par le sociologue André Gunthert à la figure de l’architecte dans Inception de Christopher Nolan (disponible on-line ici). Un questionnement que nous partageons, et un champ de recherche que nous traversons et balisons peu à peu. 
 
L’auteur détaille le rôle du personnage incarné par Leonardo DiCaprio et l’analyse comme un concepteur de fiction ou plutôt penseur d’illusions. L’article questionne les représentations même de ce qui constitue l’imaginaire architectural du personnage et s’ouvre sur la conviction que l’architecte reste une figure puissante des processus de projection, d’imagination du monde. 



Cependant, le texte fait référence par deux fois à Le Corbusier, une fois au style international et une au mouvement moderne. Cette référence, ou révérence des sciences sociales envers Le Corbusier m’interroge. En effet, si Le Corbusier a eu de multiples activités et a pris de nombreuses positions éclatantes, il forme une figure complexe, d’autant plus difficile à utiliser que sa postérité est sujette à interprétation. S’agit-il d’un prisme francophone, d’un statut de reconnaissance ou d’un degré de célébrité ? 

La période d’activité architecturale et intellectuelle de Le Corbusier courant de 1920 à 1965, voit-on dans les publications scientifiques d’aussi fréquentes références à l’œuvre de ses contemporains ? Erwin Panofsky pour l’histoire de l’art, Helan Gaige en zoologie Blaise Cendrars pour la poésie, Louis Jouvet pour le théâtre ou encore Ralph Linton pour l’anthropologie ? 

Sans lui, le texte de Gunthert est tout aussi éclairant. Sans lui, on peut considérer que le déplacement d’objet d’étude nécessite un déplacement des référents à même de le penser. Sans lui, il est tout aussi légitime, voire plus, d’inventer de nouvelles méthodes analytiques des faits urbains et de leurs représentations. 

Voir : 

3 août 2012

Fatigue

Il est des moments ou la curiosité et l’enthousiasme cèdent le pas à une certaine lassitude. C’est alors qu’il est utile de pouvoir s’enfuir par une sortie dérobée, de disparaitre à l’aide d’une trappe ou de se glisser dans un passage secret.



Nous reviendrons surement au mois de septembre, je l’espère par la grande porte pour continuer à partager ces réflexions et notes autour de l’architecture.

 Bonne vacances à tous.


Voir :
http://hiddenpassageway.com

26 juillet 2012

Ca se passe comme ça ?

Les jeux olympiques débutent à la fin de semaine. Entre les diverses compétitions, certains ne manqueront pas de saluer la prouesse technique de l’Orbit d’Anish Kapoor et Cecil Balmond ou de s’intéresser au dessin du vélodrome olympique de Hopkins architects. D’autres n’y accorderons aucune importance et profiterons d’un repos mérité en cette période estivale. Mais certains feront une synthèse inédite. Ils s’assiéront dans un Byron à Londres et commanderons un bon hamburger.


Byron est une petite chaine de restauration qui a décidé consciemment d’allier une forme d’éthique alimentaire à son identité architecturale. Ainsi, les lieux qu’elle investi sont mis a nu, les briques révélées, les modénatures conservées, les planchers désossés, les gaines de ventilations assumées. Un mobilier contemporain soigneusement choisi pour contraster avec la simplicité voire la brutalité du traitement architectural. 


Pour le volet culinaire, la ligne de conduite du fondateur de Byron, Tom Byng, est claire : 

" We source good beef from Scotland. We mince it fresh every day. We cook it medium so it’s pink, juicy and succulent. We place it in a soft, squishy bun with minimum fuss and fanfare. We serve it with a smile in a comfortable environment. And that’s it."

" Nous avons des fournisseurs de boeuf en Ecosse. Nous le hachons nous-même chaque jour. Il est cuit à point et servi rosé, juteux et tendre. Nous plaçons le steak dans un pain moelleux avec un minimum d’accompagnements ou de gesticulations. Nous le servons avec le sourire dans un environnement confortable. Et c’est tout ! "


Il est tout à fait surprenant que cette conscience gastronomique soit littéralement traduite dans l’architecture de ces restaurants et pourtant c’est le cas. Plusieurs restaurants réalisés par les architectes Alex Michaelis et Tim Boyd proposent une réhabilitation minimale d’immeubles victoriens. Les architectes transforment alors le slogan de la firme en leitmotiv architectural.

 “ Do a simple thing well, and do it properly ”

 


Voir : 

28 juin 2012

Un peu de généalogie


La diffusion des formes architecturales dresse souvent des histoires surprenantes. Cette mécanique, qui transforme une référence architecturale en véritable paradigme, génère ce que l’on appelle communément un tubard, c'est-à-dire un dispositif architectural que l’on retrouve dans de nombreux projets, comme le marqueur d’une époque. 

 Ainsi, la loggia colorée au sein d’un immeuble d’habitation constitue un motif dont les architectes semblent ne jamais se lasser, quoique le temps passe… Récemment deux projets ont employé, presque à l’identique ce registre plastique. Il s’agit des trois plots de l’opération Horizon Sud à Evry de Beckmann-N'Thépé, actuellement en construction. 


Ou encore l’agence KOZ (Christophe Ouhayoun et Nicolas Ziesel) pour une résidence étudiante à Paris conçue en 2007 et livrée en 2012. 

 

On assiste en fait là à une transposition de la grande loggia du bâtiment Mirador réalisé par MVRDV à Madrid entre 2001-2005. 


A moins que le groupe MVRDV ne se soit lui-même inspiré de l’IJ Tower conçue et construite entre 1993 et 1998 par Neutelings – Riedijk à Amsterdam. Une filiation qui confirmerait la fascination exercée par l’architecture hollandaise sur nos deux premiers exemples de « jeunes » architectes français de la French Touch. 


 Mais on pourrait remonter plus loin, notamment à la réalisation de certaines « fenêtres urbaines » dans les années 1980-1990, et notamment la rénovation de la barre Balzac à La Courneuve, réalisée par Laurent Israel en 1989 sur les bâtiments existants de Clément Tambuté et Henri Delacroix construits entre 1956 et1966. 


S’il est séduisant de lire et composer cet arbre généalogique, il nous faut souligner que ces filiations et répercussions sont sans aucun doute redevables aux unités d’habitation corbuséennes qui forment cette association de larges balcons singularisés par des couleurs vives. Une combinaison gagnante, toujours d’actualité… 

 

Voir :
http://www.koz.fr/ 
http://www.b-nt.biz/ 
http://www.mvrdv.nl 
http://www.neutelings-riedijk.com