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25 août 2009

Le politique et l’en-ville

L’architecture est une minorité. Au même titre que d'autres groupes sociaux, c’est en effet un lieu commun de constater la sous représentation politique des professions de maitrises d’ouvrage : architectes, urbanistes, paysagistes… Ainsi, depuis 1958, aucun architecte n’a accédé à la fonction de député. 0 siège obtenu sur près de 7 500 mandats attribués lors des treize législatures de la cinquième République. C’est sans doute ce manque de reconnaissance qui à poussé Roland Castro à se lancer dans la campagne pour l’élection présidentielle de 2007, à la tête de son parti le Mouvement de l’Utopie Concrète (sic).


Pourtant, loin de cette agitation, un urbaniste était déjà en possession d’une charge politique : Serge Letchimy, député-maire de Fort-de-France. Le relatif silence autour de ce cas unique en France est assez surprenant. D’autant plus que cet homme à aussi la particularité d’être un personnage de fiction. C’est en effet un intervenant clé de l’excellent roman Texaco de Patrick Chamoiseau, prix Goncourt 1992. Celui-ci se nomme Texaco d’après un quartier auto-construit sur les franges d’une implantation pétrolière, aux abords de Fort-de-France. A travers deux histoires personnelles, Esternome le père et Marie-Sophie Laborieux, la fille, Chamoiseau parvient à reconstituer une fresque de l’histoire de la Martinique séquencée par le rythme de son urbanisation : l’en-ville

« Sa première case fut de bambou. Bambou cloison. Bambou toiture. Tresse de paille-coco pour arrêter les eaux. Parant des vents humides, la paille couvrait le tout d’un cheveu de vieille femme. Au gré de ses humeurs, mon Esternome leva d’autres qualités de cases. La plus belle fut un nid de ti-baumes ramassés dans les endroits les plus secs. » (p.173)


Poétique, le roman ne s’éloigne pourtant pas longtemps d’un propos politique engagé. Ainsi, le récit est véritablement émaillé de réflexions sur l’urbanisation des iles antillaises. Questionner la ville pour penser le politique, un exemple à suivre ?

« Mais la ville est une menace. Quand elle n’est pas pétrie, d’une vielle mémoire soigneusement amplifiée, sa logique est inhumaine. Le désert y nait sous la joie mécanique des néons et les dictatures automobiles. Texaco absorbé sera régi par l’ordre. L’île Martinique sera vite avalée. Il faut désormais à l’urbaniste créole, réamorcer d’autres tracés, en sorte de susciter en ville une contre-ville. Et autour de la ville, réinventer la campagne. » (p.462)

Lire:
Patrick Chamoiseau, Texaco, Paris, Gallimard, 1992.
http://www.serge-letchimy.fr

14 août 2009

Archi explicite


La valeur symbolique, sexuelle ou phallique de l’architecture est souvent une donnée inavouée du projet architectural. Pourtant, le double sens du terme érection n’est surement pas un hasard. Du plan de l’Oikema de Claude-Nicolas Ledoux aux tours oblongues, profilées et nervurées les plus récentes, l’image de la verge et la jouissance masculine sont bien représentées dans l’histoire de l’architecture. A contre courant, du plaisir solitaire de ce sexe dominant la ville de sa taille et ses dimensions, nous vous proposons une variante, une exploration freudienne d’une architecture féminine.


Séoul est une ville humide, moite. A l’est, sur de douces pentes, se trouve l’université féminine d’Ewha livrée en début d’année par Dominique Perrault. Ce projet est un réel organe, alliant nature et perfection. Surmontée d’un parc forestier, ourlée d’une tendre végétation, l’université est une douce fente abritant la jeunesse coréenne. Quittant l’agitation de la ville pour l’intimité de la connaissance, la foule sensuelle des étudiantes en uniformes ruissèle le long de la faible pente et des escaliers. Au creux de cette longue descente, elles pénètrent enfin dans le bâtiment. Les parois épaisses et raffinées vibrent et renvoient les reflets de l’extérieur. Presque frigides, elles mêlent intimement, l’activité dans la faille aux ambiances intérieures plus calmes. Au plus profond, on trouve les grands espaces des amphithéâtres, mondes clos, fantasmés et secrets. En fin de journée, les étudiantes ressortent enfin de ce bâtiment-paysage, enchantées, ressentant plus fort les pulsations de la ville. La lumière du soleil oriental caresse alors cette architecture, appelant de nouvelles visites, encore…



Voir :
http://www.perraultarchitecte.com

4 août 2009

Dualités

Cet été à Paris, deux expositions photographiques abordent des mondes urbains : Michael Wolf à la Galerie particulière et Patrick Zachmann à la Cité nationale de l’histoire de l’immigration. La première, intitulée « Metropolis », présente des portraits urbains et des élévations photographiques de building de deux villes globales, les métropoles de Hong Kong et Chicago. La seconde, titrée « Ma proche banlieue » est une série documentaire portant sur les quartiers nord de Marseille et sur les ensembles HLM d’Evry. Les approches artistiques et les territoires couverts par ces deux manifestations sont extrêmement différents. On peut ainsi différencier la démarche quasi impersonnelle de Michael Wolf, à la fois plastique et clinique, de celle de Patrick Zachmann, plus politique et engagée, à vocation de témoignage sociologique.


Pourtant, les phénomènes urbains décrits par ces approches divergentes semblent proches, presque parallèles : imposant essor urbain en Chine, paysages périurbains du Val de Marne, locaux tertiaires vides du CBD de Chicago ou destruction de la barre Debussy à la Courneuve. Ce qui distingue ces images est donc moins le contenu factuel de l’image que la prise de position critique des photographes sur le fait urbain. Sans clichés ni ingénuité, on peut considérer que ces démarches sont plus complémentaires que contradictoires. Se forme ainsi une description à plusieurs voies d’une réalité urbaine complexe : un mode pluriel de connaissance de la ville.



Voir :
http://www.lagalerieparticuliere.com
http://www.histoire-immigration.fr