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28 janvier 2009

Le regard

S’il existe de nombreux travaux traitant des relations phénoménologiques du corps humain à l’espace, ceux se rapportant à un organe précis sont plus rares. Dans cette veine anatomique, l’œil est souvent cité en tant qu’organe de la vision, mais aussi comme un icone de la perception. Ainsi, dans la conclusion de son "Premier tome de l’Architecture" imprimé en 1567 Philibert De l’Orme décrit le bon architecte comme :

« Un homme sage étant en un jardin devant le temple d’oraison, et ayant trois yeux. L’un pour admirer et adorer la sainte divinité de Dieu, et contempler ses oeuvres tant admirables, et aussi pour remarquer le temps passé. L’autre pour observer et mesurer le temps présent, et donner ordre à bien conduire et diriger ce qui se présente. Le troisième pour prévoir le futur et temps à venir, afin de se prémunir et armer contre tant d’assauts, injures, calamités, et grandes misères de ce misérable monde, auquel on est sujet à recevoir tant de calomnies, tant de peines et travaux, qu’il est impossible de les réciter. »


En 2009, ce n’est plus un théoricien faisant références aux yeux pour définir l’architecture, mais le groupe cosmétique L’Oréal qui s’empare de l’architecture pour souligner le regard. La firme, incarnée par Milla Jovovich, propose en effet une gamme de mascara : « Cil Architecte ». La notice accompagnant ces produits mobilise alors un champ lexical proprement architectural :



« Un effet faux cils sous tous les angles. Enrichie en polymères 3D, la formule inédite de Cil Architecte enrobe allonge et recourbe chaque cil pour un regard spectaculaire. Cil Architecte allie une formule révolutionnaire à une brosse inédite pour construire des cils démesurés spectaculaires. »

Allant plus loin, nous pourrions, avec ce même vocabulaire, décrire de nombreuses réalisations contemporaines issues du phénomène Bilbao de Frank O. Gehry. Pour les besoins de l’expérience, nous soumettons le Nuragic and Contemporary Art Center à Caligari de Zaha Hadid projeté en 2007 :


Architecte…révolutionnaire…démesurés…construire…3D…inédite…sous tous les angles…allonge et recourbe…spectaculaire !


A voir :
http://architectura.cesr.univ-tours.fr/
http://www.zaha-hadid.com/
http://www.loreal-paris.fr/maquillage/regard/cil-architecte.aspx
http://www.loreal-paris.fr/videos/film-tv-cil-architecte-carbone-gloss.aspx

23 janvier 2009

Vers une architecture d’extérieur ?

A l’initiative d’un lecteur assidu, étudions un curieux néologisme, celui de l’expression « architecture d’extérieur ». Ressemblant au premier abord à une plaisanterie, l’existence de cette formule montre bien combien l’acception sociale de l’architecture est flottante.

De fait, aucune définition n’existe à ce jour de cette architecture : s’agit-il du traitement du clos et du couvert ? des aménagements extérieurs ou des édicules de jardin ? La seule piste de compréhension de ce barbarisme lexical est sa formation sur le modèle de « l’architecture d’intérieur ».


Ayant une faible occurrence sur Google, elle n’est pourtant pas inexistante. Si seulement 748 pages répondent strictement à la requête « architecture d'extérieur », il existe 309 000 réponses aux termes « architecture » d’ « extérieur ». A titre de comparaison, « l’architecture d’intérieur » rassemble 182 000 réponses, et « architecture » d’ « intérieur » 860 000 pages web.

Repérée à plusieurs reprises sur des forums d’orientation destinés aux lycéens, « l’architecture d’extérieur » renvoie à un mode mineur de la pratique architecturale. En ce sens, cette expression illustre la prédominance de l’architecture d’intérieur, de la décoration sur l’architecture dans l’imaginaire collectif. Un inconscient notamment redevable aux clips Du côté de chez vous de Leroy-Merlin et à l’incontournable émission D&CO de Valérie Damidot diffusée sur M6.


Riche d’enseignement par la réduction du champ disciplinaire qu’elle propose, l’expression « architecture d’extérieur » peut pourtant sembler aussi effrayante voire tératologique que celle de « femme d’intérieur ».

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20 janvier 2009

Hawaïanisme et parisianisme

« Une ville solidaire et généreuse, ouverte aux rêves et à la diversité », c’est ainsi que la Mairie de Paris se présente dans ses vœux pour l’année 2009. Si les qualificatifs employés renvoient efficacement aux valeurs de l’administration Delanoë, le visuel choisi pour illustrer cette ville en mouvement laisse songeur.


Tiré d’une exposition tenue à l’Hôtel de ville, le collage de Jacques Prévert entretien un décalage appuyé entre discours sur l’urbain et sa représentation. En effet, l’illustration évoque un monde délicieusement rétro, composé de botanique, d’exotisme et de congés payés, bien loin de la réalité métropolitaine de Paris. Délibérément atopique, l’illustration choisie par la Mairie de Paris privilégie l’ailleurs à la substance urbaine de la capitale et propose une image de la ville désincarnée.

14 janvier 2009

La technique des 29796

En ce début d’année, chaque ministère dresse le bilan de son action au sein du gouvernement Fillon. Toute honte bue, Brice Hortefeux, ministre de l'immigration, de l'intégration, de l'identité nationale et du codéveloppement, se félicite d’avoir effectué 29 796 reconduites à la frontière durant l’année 2008. Pour nous aider à comprendre la réalité de ce chiffre, comparons ces mouvements contraints de personnes avec des populations sédentaires.


Première observation, le nombre des expulsions des étrangers en situation irrégulière est celui d’une ville. Mais quelle ville ? Une ville de taille moyenne, provinciale ou urbaine, historique ou banlieusarde. Du Nord au Sud, elle peut être :

29 576 : Soissons
29 601 : Clichy-sous-Bois
29 395 : Paris 4ème arrondissement
29 839 : Saint-Cloud
28 122 : Saintes
28 760 : Bergerac

Vider une de ces villes représente le chiffre annuel des reconductions à la frontière. De cette absence, de cette auto-ruine, nous connaissons déjà les photographies par la série Tokyo Nobody de Masataka Nakano dans laquelle l’artiste japonais s’efforçait de représenter des paysages urbains vierges de toute activité humaine, à l’abandon.


La technique des 29 796 pourrait être extrapolée ; aux 10 000 suppressions de postes pratiquées chaque année depuis 2002 dans l’Education nationale ou aux près de 60 000 chômeurs apparus aux mois de novembre 2008. Une méthode qui rend lisible et concret l’abstraction des grands nombres par l’intermédiaire de la ville, ou quand des quantités humaines donnent le vertige …


Sources :
http://www.insee.fr/fr/ppp/bases-de-donnees/recensement/populations-legales
http://www.samadhisound.com/artfile/masataka_nakano.html
http://www.immigration.gouv.fr

Pour plus de détails :
http://www.lemonde.fr/politique/article/2009/01/14/politique-d-immigration-le-dessous-des-chiffres_1141684_823448.html

7 janvier 2009

Le jeu des 7 erreurs

La réouverture du Forum des images à Paris, réaménagé par l’agence X-TU (Anouk Legendre & Nicolas Desmazières), a donné lieu à de nombreuses représentations de l’espace principal du projet : le hall d’accueil. On a ainsi pu voir la vue du concours réalisée par l’agence représentant le projet.


Mais aussi, la campagne d’affichage signée par l’agence Bronx modifiant la configuration de l’image.


Ou encore les prises de vues réelles, notamment partagées sur Flick R.


Enfin, la photographie patentée de la réalisation, à destination des revues d’architecture.


Sans faire l’exégèse complète de ces quatre images, dont les vues du projet sont au demeurant proches de la réalisation finale, il est frappant de remarquer qu’autant les photomontages d’architecture et les photographies ordinaires privilégient l’affluence du public, autant la photographie officielle de la réalisation l’exclut. Alors que les vues virtuelles du projet sont humanisées par des personnages en situation, la photographie d’architecture soustrait tout corps de l’espace et représente littéralement une absence. De ce paradoxe de l’abstraction du réel nait une certaine étrangeté ; une architecture de composition dont l'expérience, les usages et pratiques de l’espace sont le sujet absent.


Sources :
http://www.forumdesimages.net
http://www.x-tu.com
http://www.bronx.fr

2 janvier 2009

L'architecture en chantant

Que se passe t’il lorsque deux groupes pop-rock s’interrogent sur la pratique existentielle de l’architecture ? Loin d’être insignifiantes, leurs compositions donnent deux interprétations radicalement différentes du métier et de l’action de l’architecte. A la version intime, en équilibre d’Herman Düne, répond l’énergique et entreprenante chanson de dEUS. Ecoutez, lisez les extraits retranscrits et choisissez votre camp…


dEUS, The Architect, sur l’album Vantage point - 2008
(Deux premières strophes)

What is the architect doing?
He is by the riverside

What is he thinking out there?
He is committing egocide

Now isn’t that a strange thing?
Well to him it feels just

Well we guess a person’s gotta do,

What a person feels he must


He said:

I won’t throw myself from the pier

I’m gonna go home and shut up for a year
And when that year is over I’ll reappear

And have a solution

I’ve reason to believe that what I find

Is gonna change the face of human kind

And all these years before well I was blind

That’s my conclusion

Cause I’m the architect




Herman Düne, Little architect, sur l’album Switzerland Heritage - 2001
(Deux premières strophes)

I’m looking at the bird working like an architect
I’m looking at the bird working like an architect

I’m looking at the little bird
Working like a little architect

I’m looking at the beautiful bird

Working like a beautiful architect


And I wonder what he thinks at the damn on the river

I warn you : when all of that water

Comes up to the trees

You’d better think of, think of, think of

Saving what you have

Little Architect


A voir :
http://www.dailymotion.com/video/x50o6l_deus-the-architect_music