Index

26 mai 2011

Même jour, même heure

Les images développées pour représenter des projets d’architecture et les proposer aux décideurs et au grand public sont souvent écœurantes tant elles sont consensuelles et spectaculaires. C’est un monde en soi. Son climat est idyllique : le soleil brille, les arbres verdoient, les matériaux renvoient admirablement la lumière… Sa population est distinguée : majoritairement blanche, féminine, jeune et souriante. Quelques enfants, personnes âgées ou à mobilité réduite troublent parfois cette douce harmonie et constituent l’exemple qui confirme la règle. Son architecture est simple, sans détails ni aspérités, son mobilier de bon gout et généralement hors de prix. L’ensemble à la beauté sans vie d’un magasin de luxe. L’image elle-même est toujours parfaite. Elle est savamment composée, cette robe orange à l’arrière plan qui répond si bien à la paroi sur la gauche, elle n’est jamais tremblée ou à contre-jour, elle semble décrire une réalité immuable.

Puis passe à la radio ce vieux tube de Patrick Bruel. C’en est trop. Donnons rendez vous à ces images dans dix ans…

Il fallait bien choisir un cobaye. Sans préjuger en rien de la qualité du projet, on a choisi le Centre Hospitalier de Chambéry conçu par l’agence Brunet-Saunier qui doit être livré en 2015. Notre cruauté sera-t-elle sans limite ?


Le temps d’abord. Selon Wikipedia et MétéoFrance, il pleut deux fois plus à Chambéry qu’à Paris ; la température annuelle moyenne est de 11° C et une année compte 77 jours cumulés de neige, orages ou brouillard. Mettons que dans dix ans, il fera gris. Les personnages ensuite. Et bien nous serons en octobre, donc on aura sorti le gros manteau et même la capuche. L’architecture enfin. Le métal de la façade aura terni, il n’a d’ailleurs jamais vraiment reflété la silhouette des Alpes. Des traces seront apparues au niveau des acrotères, des jointures de certains panneaux et au pied des immeubles. La signalétique propre à l’assistance publique se sera répandue sur le site de même que le mobilier urbain, généralement indigent, choisi par les services techniques de la ville. Quelques détails assez malvenus, comme les accès pompiers sur la façade principale ou des sorties de secours imposées tardivement viendront enrichir le dessin du projet…

Et maintenant, un peu de silence et d’attention…

Abracadabra !



21 mai 2011

Les auspices (6)

J’ai toujours été étonné par les horoscopes en fin de périodiques et plus encore par la publication de portraits de personnalités du même signe. Comme si un lien invisible les unissait, comme si la projection du lecteur vers ces célébrités permettait de partager quelque chose avec elles. Et si ce n’était pas tout à fait faux ?

Comme une preuve par l’absurde, nous vous présentons pendant un an, un horoscope architectural regroupant de nombreux architectes du 20ème siècle selon leurs dates de naissances. Ainsi vous serez parfaitement à mêmes d’identifier les profils psychologiques, les tempéraments, la créativité et le devenir de ces familles d’architectes… ou pas.
Gémeaux, 22 mai – 21 juin

22
23 André Bloc (1896)
24 Annette Gigon (1959)
25
26
27
28
29 Iannis Xenakis (1922)
30
31 Frei Otto (1925)
01 Norman Foster (1935) Toyo Ito (1941)
02 Carlo Scarpa (1906)
03
04 Moisei Ginzburg (1892)
05 Yona Friedman (1923)
06 Herman Hertzberger (1932)
07 Charles Rennie Mackintosh (1868)
08 Frank Lloyd Wright (1867) Robert Auzelle (1913) Jean Renaudie (1925)
09
10 Victor Baltard (1805) Rob Krier (1938)
11 Josef Paul Kleihues (1933)
12
13
14 Kevin Roche (1922) Kjetil Trædal Thorsen (1958)
15
16 Peter Rice (1935)
17 Charles Eames (1907)
18
19
20
21 Pier Luigi Nervi (1891)

10 mai 2011

L’architecture du discours


Cela faisait longtemps que nous ne vous avions pas proposé de traduction d’un texte remarquable. C’est que des réflexions disciplinaires, des prises de positions intelligibles et constructives ne courent pas les rues, à l’instar du recueil de poèmes de Raymond Queneau. Alors que la production architecturale portugaise est mise à l’honneur par le récent Pritzker Prize décerné à Eduardo Souto de Moura, voici un texte d’aNC Arquitectos, groupe formé de Teresa Novais et Jorge Carvalho rédigé en 2006, dont la portée nous semble mériter une traduction.

« Une école d’architecture nous demande une réflexion sur notre pratique architecturale. Un magazine nous un arbre généalogique de notre travail. Ainsi, on attend d’un architecte qu’il définisse son territoire et se positionne dans un système de valeurs.

Peu d’architectes sont en fait capables de construire une théorie à partir de leurs propres projets. Quand nous nous y essayons, nous nous trouvons prisonniers d’un vocabulaire à la fois vague et imparfait «expression culturelle », « faire sens », « développer une identité architecturale ». Les intentions d’un projet sont parfois aussi complexes que les concepts que l’on utilise pour les décrire. C’est pourquoi les architectes mobilisent souvent un vocabulaire provenant d’autres disciplines, philosophie, écologie, sociologie et bien d’autres. Mais ces emprunts ne nous conviennent pas ; d’ailleurs nous réalisons bien que lorsqu’on évoque la notion d’économie, plusieurs interlocuteurs l’entendront de manière différente.

Soit. Mais que ce soit à l’occasion d’une confession spontanée ou pour combattre l’incompréhension entourant leur travail ou encore pour stimuler leur propre processus intellectuel, les architectes énoncent souvent leurs objectifs et prises de positions. Généralement, les architectes s’expriment en public en usant autant d’une vaine assurance qu’en se réfugiant dans un langage métaphorique. Quoiqu’il en soit, on ne considère généralement pas que son discours décrive objectivement l’émergence d’un projet puisque ce discours est une partie intégrante de ce travail.

Pour nous, même métaphoriquement, notre travail ne s’inscrit pas dans l’esprit du temps ou dans une vision totalisante du monde contemporain. Le sens de nos actions ne peut pas être sur interprétée comme des certitudes préconçues. Cela réduirait l’architecture. Nous conservons l’illusion d’être libres de nous confronter à la complexité, à la densité du réel et aux incompréhensions qu’il suscite. Nous aimerions que les systèmes de rationalité que nous développons soient comme un champ doté de points de repères et d’orientation. Car ce qui compte est plus l’interrelation des choses que leur hiérarchie dont le sens est vain. L’architecture n’exclut rien.

Nous voulons pratiquer l’architecture pleinement, en faire un objet plus politique, plus pertinent. La communication, la médiation peut y aider. L’information nous entoure, dans les magasines, les conférences, dans divers espaces de discussions, à l’Ecole d’Architecture de Porto. Nous cherchons tous. Mais la communication ne suffit pas. Parfois le sens profond des choses est brouillé par le surplus d’informations. Des moments que solitude et de concentration, entre deux projets, permettent de faire émerger des positions inédites.

Notre espoir repose sur le fait de savoir saisir les opportunités de chaque projet. Mais il n’existe pas de formule permettant de mesurer l’éthique ou la valeur d’un projet. En fait nous souhaitons être assez ouverts dans nos propositions. Chaque situation recèle un potentiel différent. L’animation d’un quartier, le chemin qui traverse le site, le climat ou une structure que l’on peut réinvestir. Hormis l’architecte, quelqu’un aspire à la transformation, rarement parce qu’il doit survivre mais parce qu’il rêve ou pour des raisons de pouvoir ou de confort. L’utilisation des conditions de chaque situation peut servir à sa propre transformation. A cette fin, nous devons être imaginatifs et sensibles, comme tout fermier ou économiste se doit de l’être.

A travers l’architecture, nous pouvons faire entendre des choses sans même les énoncer et relier l’inconciliable. Pour un architecte, les choix esthétiques sont subordonnés à sa responsabilité sociale, même quand il s’agit de la place d’une chaise dans une pièce. Ainsi nous nous sentons pleinement responsables, même de ce dont nous ne devrions pas. Nos actions importent car ce sont de l’architecture. »

Voir :
http://www.anc-arquitectos.com/